« Considérer comment Dieu travaille et oeuvre pour moi dans toutes les choses créées sur la face de la Terre – c’est-à-dire qu’il se comporte à la manière de quelqu’un qui travaille – et, à partir de là, réfléchir en moi-même en considérant ce que, de mon côté, je dois offrir et donner en toute équité et justice à sa divine majesté. »
Saint Ignace de Loyola
La « contemplation dans l’action », selon les propres termes d’Ignace de Loyola, caractérise l’ordre des jésuites, voués au service de Dieu parmi les hommes. Ignace et ses compagnons, François Xavier, Pierre Fabre, Jacques Laynez et Alphonse Salmeron, ont posé les bases de cette nouvelle famille religieuse, le 15 août 1534, à Paris, en décidant de prêcher la foi catholique et de se mettre à la disposition du pape. La fondation de la Compagnie de Jésus, approuvée par Paul III en 1540, répond donc à l’objectif de rassembler des prêtres soumis à une règle et à une vie spirituelle exigeantes tout en se consacrant à des tâches apostoliques. Dès le début, en pleine Réforme protestante, les demandes du Saint-Siège se font pressantes : il faut des théologiens pour débattre avec les réformés, des enseignants pour les collèges et le clergé, et des missionnaires pour évangéliser les peuples du Nouveau Monde. Les jésuites seront la cheville ouvrière de cette vaste entreprise de rénovation de l’Église.
Leur solide formation intellectuelle et spirituelle les mène bientôt au plus haut niveau de la société civile : confesseurs des élites, créateurs d’écoles et d’universités, précepteurs des princes. Leur fidélité au Saint-Siège mettra cependant un frein à leur puissance, lorsque les États prendront leur distance avec Rome. Aujourd’hui, l’ordre poursuit son oeuvre d’humanisme à travers le monde. Quelque 25 000 jésuites se consacrent ainsi à l’enseignement, à la recherche théologique, aux aumôneries, à la presse, et aux missions auprès des plus pauvres.
IGNACE DE LOYOLA (1491-1556), le nouveau croisé
Jeune noble basque espagnol, d’abord page puis chevalier rêvant d’exploits, Ignace de Loyola est blessé au siège de Pampelune, en 1521. Il se plonge dans la
Légende dorée et ressent l’appel d’une vie religieuse. Il entre chez les bénédictins à Montserrat, près de Barcelone, puis se retire pendant un an dans une grotte. Il a alors une illumination mystique et écrit l’ébauche des Exercices spirituels. Après un pèlerinage à Jérusalem, il prend conscience de la nature apostolique de sa vocation : il veut communiquer son expérience et donner à l’Église des hommes prêts à la servir
« pour la plus grande gloire de Dieu ».
Il entreprend d’acquérir une solide formation humaniste, étudie la philosophie à Alcala puis à Salamanque. Inquiété par l’Inquisition, il est jeté aux fers pendantvingt-deux jours. Il gagne Paris, obtient son diplôme, réunit autour de lui ses premiers compagnons. Le 15 août 1534, dans la crypte de la chapelle bâtie à l’emplacement du martyre de saint Denis, à Montmartre, ils prononcent leurs voeux, se donnant pour tâche l’instruction des enfants et des pauvres, l’évangélisation des pays non chrétiens, et jurent obéissance au pape. Ils sont ordonnés à Venise en 1537. À Rome, ils prennent le nom de Compagnie de Jésus. L’ordre est approuvé par le Saint-Siège en 1540 et se développe rapidement. Ignace s’attelle à la rédaction de sa Constitution, poursuit sa prédication, entretient une importante correspondance, confesse, crée des oeuvres : maisons pour catéchumènes juifs ou musulmans, refuges pour les « femmes errantes », quêtes pour les pauvres, les prisonniers… Il meurt à Rome et sera canonisé en 1662, en même temps que son compagnon, François Xavier.
Dieu, artisan de chaque être
Avec ses Exercices spirituels, Ignace de Loyola inaugure une nouvelle manière de se rapporter à Dieu. Cette spiritualité, attentive aux mouvements de l’âme, à ses affects et son imaginaire, vise à accéder, au terme d’une purification intérieure, à la perception qu’a Dieu d’agir en chacun. Car pour le saint, c’est « Dieu qui se communique lui-même à l’âme qui lui est fidèle, l’enveloppant dans son amour et sa louange, et la disposant à entrer dans la voie où elle pourra mieux le servir ».
La spiritualité ignacienne s’éprouve donc dans une forte personnalisation de la relation du croyant avec Dieu, qui inscrit les volontés divines dans son cheminement personnel et dans son temps.
UN CONTRE-POUVOIR À L’ESCLAVAGE DES INDIENS DANS LE NOUVEAU MONDE
Le début de l’histoire des jésuites coïncide avec la découverte de l’Amérique et de l’Asie. Ils seront envoyés en masse évangéliser ces contrées inconnues.
En Amérique du Sud, ils seront ainsi les promoteurs des « réductions générales des Indiens en villages », institutions qui visaient à la fois à stabiliser la population indigène, à la protéger de l’exploitation et de l’extermination des colons, et à lui donner une formation religieuse, intellectuelle et technique.
La plus connue de ces expériences s’est déroulée avec les Indiens guaranis, au Paraguay. Plus de trente villages de 2 000 à 3 000 habitants furent ainsi créés, reposant sur l’exploitation communautaire des terres et associant les Indiens à leur gestion. Cette « république des Guaranis » suscita une telle hostilité chez les colons qu’elle provoqua, un siècle et demi plus tard, l’expulsion des jésuites et la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773, ce qui entraîna la disparition des réductions. Le film Mission retrace l’histoire de cette utopie brisée.