« Je voudrais détruire l’enfer et le paradis afin que Dieu soit aimé pour Lui-même. »
Sainte Thérèse d’Avila
Au XIIe siècle, des pèlerins venus en Palestine s’installent dans les grottes du mont Carmel (près de Haïfa) pour vivre en ermites à la recherche de Dieu, comme l’avait fait le prophète Élie. Parmi eux, un Français, Berthold de Calabre, fonde l’ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du mont Carmel. La règle, rédigée en 1209 par Albert, patriarche de Jérusalem, est marquée par un ascétisme extrême (prière, pauvreté, solitude, régime végétarien). La prise de la Terre sainte par les Sarrasins chasse les chrétiens venus d’Occident lors des Croisades. De retour en Europe, les carmes vivent en petites communautés priantes dans les villes et se consacrent à la prédication. Saint Simon les dote d’une nouvelle règle, inspirée de celle des franciscains. Les premiers monastères féminins sont fondés en 1452. Au XVIe siècle, l’ordre se scinde en deux branches indépendantes, suite au courant réformateur impulsé en Espagne par Thérèse d’Avila et Jean de La Croix, qui reviennent à la règle d’origine. Les religieux réformés se nomment Déchaux (en signe de pauvreté, ils ne portent pas de chaussures), par opposition aux carmes chaussés (sous la règle de saint Simon). Les premiers couvents sont fondés en France à la fin du XVIIe siècle.
Les religieux mènent une vie d’ermites en communautés, tournée vers l’oraison, le silence, le rejet « de tout ce qui n’est pas Dieu ». Avant tout contemplatifs, ils exercent parfois un apostolat. Les carmélites (13 000 dans le monde) sont surtout présentes en France et en Espagne. Les carmes (6 000) se répartissent entre l’Amérique, l’Europe occidentale et l’Inde. Il existe une centaine de carmels en France. Outre ses fondateurs, l’ordre compte quelques-unes des plus grandes figures mystiques de l’histoire chrétienne, dont Thérèse de l’Enfant-Jésus (docteur de l’Église en 1997) et Élisabeth de la Trinité, qui ont contribué à la restauration de l’ordre après la Révolution, et plus près de nous Édith Stein, philosophe juive devenue carmélite, morte à Auschwitz.
SAINTE THÉRÈSE (1515-1582), la montée vers l’extase
Théologienne et grande réformatrice monastique, Thérèse entre à 20 ans au carmel de sa ville natale, Avila, en Castille, après une jeunesse partagée entre la prière, la lecture de romans de chevalerie et la fréquentation assidue de ses nombreux cousins. Ce monastère non cloîtré suit la
« règle mitigée » qui permet aux moniales de sortir et de recevoir des visites. Pendant sept ans, Thérèse, non dénuée d’attirance pour le monde et ses plaisirs, se satisfait de ce modus vivendi, tout en alternant phases de maladie (on ira jusqu’à creuser sa tombe) et de guérison. La lecture de saint Augustin et la compassion qu’elle éprouve face à une statue de Jésus flagellé marquent le tournant de son parcours spirituel.
Elle décide de s’engager radicalement dans la vie monastique et de réformer les couvents. Elle fonde le monastère Saint-Joseph où la règle ascétique des débuts du carmel est observée, allant jusqu’à exiger que les religieuses quittent leurs souliers pour chausser des sandales de cuir ou de bois.
Sa piété et ses expériences mystiques (la plus connue est celle de la transverbération, vision d’un ange lui transperçant le coeur avec un dard en or, représentée par une sculpture du Bernin exposée à Rome) la font connaître.
En 1580, sa réforme est approuvée par le pape malgré l’hostilité d’une partie de l’Église. Elle sillonne l’Espagne au mépris de sa santé pour fonder des monastères réformés avant de mourir. Thérèse est canonisée en 1662.
Les sept demeures de l’âme
Première femme docteur de l’Église, Thérèse a écrit plusieurs livres à l’attention des moniales de son couvent, dans lesquels elle met en avant l’aspiration à vivre en recluse pour mieux atteindre la perfection spirituelle menant à l’extase.
Dans son livre majeur (le Château intérieur), elle décrit l’âme comme un château qui « a de nombreuses demeures. Au centre se trouve la principale où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l’âme ». Elle encourage à aller toujours plus avant dans l’intériorité, car le bonheur se trouve au coeur de la septième chambre où Dieu réside, lieu du mariage spirituel.
JEAN DE LA CROIX (1542-1591), l’orfèvre du dépouillementJean de Yepes naît en Vieille Castille dans une famille noble de tisserands. Orphelin de bonne heure, il étudie chez les jésuites où ses dons – amour du beau, piété, compassion – sont remarqués. Il devient infirmier à l’office des pestiférés. Entré au carmel à 21 ans, il prie dans une chartreuse perdue dans la sierra de Guadarrama qu’il envisage d’intégrer, quand il rencontre Thérèse d’Avila, qui le convainc de l’aider dans sa réforme de l’ordre. Il bénéficie du soutien de Pie V et de Grégoire XIII dans son entreprise mais se heurte bientôt aux carmes traditionalistes, ce qui lui vaudra, en 1577, d’être emprisonné neuf mois dans un couvent de Tolède. En 1582, après la mort de Thérèse, il devient prieur au carmel de Grenade, puis à celui d’Ubeda où il meurt de la gangrène à l’âge de 49 ans. À la fois théologien et poète, il enseigne dans ses écrits (
la Montée du carmel, Cantique spirituel, Cantique de la nuit obscure…), considérés comme des joyaux de la littérature, que l’être ne peut s’unir à Dieu sans passer par
« la nuit de l’âme », épreuve purificatrice par laquelle il se dépouille de la mémoire et de la volonté afin de recevoir « la vive flamme d’amour ». Il est canonisé en 1675, et proclamé docteur de l’Église en 1926.